J.Boule, 35 ans aujourd'hui, et désormais vice-président de l'association de coursiers la Pame, PanameMessengers, devient coursier en 2004. Il fait vite une sacrée découverte : « Des vidéos américaines d'alleycats circulaient sur Internet et on est allés à plusieurs en voir à l'étranger. »
Les alleycats ? Les chats de gouttière ? A l'origine, une course d'orientation urbaine, souvent nocturne, organisée sans demande d'autorisation particulière et permettant de départager les meilleurs coursiers. Imaginez une journée extrême de travail, entre 20 et 50 kilomètres, condensée en une heure et demie.
Chacun reçoit une feuille de papier appelée manifeste, indiquant une dizaine d'adresses, et se précipite sur son vélo pour s'y rendre au plus vite.
Sur chaque lieu, en général difficile à trouver, il faut passer une épreuve sous forme de devinette ou de défi pour obtenir des coups de tampon aux points de contrôle, afin de prouver son passage. J.Boule organise la première alleycat en France en septembre 2005 à Paris. Frissons et adrénaline garantis pour la dizaine de coursiers qui y participe. La course se finit par une soirée bien arrosée, une tradition bientôt baptisée chistole, expression héritée du rugby et synonyme de fête, devenue mot passe partout et cri de guerre. J.Boule organise plusieurs Panam' Alleycats, avec les moyens du bord, jusqu'à ce que d'autres prennent le relais.
Le champion
Hou par exemple, 27 ans, en charge des alleycats organisées en marge du dernier championnat du monde des coursiers, participe à sa première huit ans plus tôt ...et y arrive trentième. Pour avoir l'entraînement nécessaire à la victoire, il devient alors coursier , et au fil des courses, devient un pilier du mouvement. « Il m'aura fallu trois ans ! Ensuite, j'économisais pour participer aux championnats et aux alleycats dans le monde entier, jusqu'aux Etats-Unis et au Japon. Et un jour, les grands frères m'ont convaincu d'en organiser une en 2010. » Pour gagner une alleycat, il faut bien sûr rouler vite mais aussi connaître la ville, avoir l'habitude de la circulation et trouver le meilleur chemin. « Les manifestes étant souvent difficiles à décrypter au premier coup d'oeil, ça oblige à s'arrêter pour réfléchir à son parcours », constate Hou.
Les différentes courses de vélo urbain à Paris
Depuis la fin des années 2000, le vélo urbain n'est plus l'apanage des coursiers. De plus en plus de gens le choisissent comme moyen de déplacement et pour les sensations que procure le fait de rouler vite en ville. La première ride hebdomadaire commence en 2008. Quelques potes se donnent rendez-vous le mardi soir place du Palais Royal, une virée devenue publique et reprise en mains désormais par le groupe Street Pistard, adepte de la performance sportive : jusqu'à 70 kilomètres hors de Paris en montant à 50 à l'heure et on n'attend pas les retardataires. Leur rigueur a permis à certains d'entre eux de remporter des critériums auprès de semi-professionnels.
A vélo, il est recommandé de tirer la langue…
En 2010, le PCR, pour Paris Chill Racing, initie un autre ride le mercredi avec pour point de départ le parvis de Beaubourg. Il est désormais relocalisé place de la République, après une parenthèse d'un an, lorsque, victimes de leur succès, trop de gens imprudents les rejoignaient. Une balade nocturne dans Paris intra muros durant laquelle on crie, on s'amuse, on s'attend au feu rouge et on finit au bar pour la chistole : bon esprit ! Des rouleurs, souvent plus jeunes, décident de relancer le rendez-vous de Beaubourg, sous le nom de RDM, Ride Du Mercredi. Eux veulent rouler plus vite et plus fort, sortir de Paris. « Rouler en peloton, ça a quelque chose de magique », s'extasie Adrien, 30 ans.
Girl Power
L'univers du vélo urbain est majoritairement masculin. Chiara et Léa, 34 ans chacune, étaient parmi les rares filles à fréquenter les rides. Mais une certaine gène les empêchait de profiter de ce moment de liberté. « J'adorais mais j'avais peur de ne pas suivre et je n'avais pas envie qu'on m'attende. Et le fait de savoir qu'il y avait si peu de filles me freinait, m'empêchait d'être naturelle et spontanée », explique Chiara. « Moi je ne me sentais pas à ma place, malgré le fait que les mecs étaient sympas et donnaient des conseils », confirme Léa.
Un jour est lancée l'idée d'un ride entre femmes : une trentaine répond à l'appel. Chiara raconte, enthousiaste : « Très bonne ambiance, beaucoup de solidarité, de bienveillance. On a au envie de recommencer chaque semaine, on a trouvé le nom GOW, Girls On Wheels, au printemps dernier. A la fin de la journée il y avait déjà 80 inscrites sur Facebook... 200 en une semaine. On a répondu à un vrai besoin. Rouler la nuit, vite et en groupe permet de reprendre possession de la rue et de la ville. Le fait de rouler entre filles peut paraître un acte d'exclusion mais en réalité, je me suis vite rendue compte que, au contraire, cela la favorise la mixité. Ça permet de gagner la confiance nécessaire pour revenir rouler ensuite avec des garçons ». Léa ajoute : « On s'encourage et on se porte mutuellement. Et on a besoin d'apprendre par nous-même, de ne pas toujours être chapeautées ». Et rapidement, certaines GOW commencent à participer à des compétitions.
Les grosses machines
Le phénomène du vélo urbain prend de l'ampleur. En plus des rides, des événements voient le jour. Le PCR en particulier, dont le groupe Facebook compte 4 000 inscrits, est décrit comme « une machine à organiser des événements » par Léa : sorties sur des longues distances de centaines de kilomètres, Pils Bikes Tourism à la découverte des brasseries artisanales à travers la France, compétitions... Les Neufs heures de Longchamps, course d'endurance et de vitesse du Street Pistard, réunit 50 équipes dont 15 féminines sur la piste de l'hippodrome.
“Le vélo, c'est un prétexte pour passer des soirées entre potes”
Le Criterhum du PCR se veut plus ludique, un shot de rhum arrangé devant être bu à chaque tour. Quant au Keirin, il est organisé par Team Caviar, dont le nom fait référence au goût de la sueur. C'est de l'aveu même de ces papas destroy, des potes entre 30 et 45 ans qui se sont connus au PCR, un événement défouloir. Hurlements, rires, folie ambiante, fumigènes, refus de se prendre au sérieux, barbecue et chistole garantis ! Julien confie : « Le vélo pour nous c'est un prétexte pour passer des soirées entre potes. On s'en fout de la performance ».
Bonne ambiance
Les compétitions de cyclo cross dans les bois et la boue, et de cargo bikes, ces vélos avec une grande plate-forme chargée à l'avant, se multiplient également, et les groupes organisent aussi des alleycats. Depuis les débuts, PCR et RDM se tirent gentiment la bourre, les premiers reprochant aux seconds de manquer de maturité. Raphaël du RDM, 21 ans, réplique : « Ils nous voient comme des branleurs qui n'organisent jamais rien mais par contre on rafle toutes les premières places à leurs événements. Et puis, on vient de créer le Team RanDoM, plus versé dans la compétition. On a créé la surprise en organisant une première alleycat ».
Passage au checkpoint
L'élargissement de la communauté des cyclistes urbains ne fut pas toujours du goût des coursiers. « Comme coursier se dit « messenger » en anglais, au début, on les appelait des « fakengers » (jeu de mot entre « faux » et « coursier » - NDLA) et il y a eu tout un débat sur le fait des les accepter ou pas à nos événements », se souvient J.Boule. Mais rapidement la question ne se pose plus trop parce que les événements montés par les non professionnels deviennent plus importants. Et ces derniers décrochent de plus en plus de bonnes places. Au RDM, Raphaël l'assure : « les coursiers nous ont transmis leur culture ». Un même esprit d'entraide, des expressions, chistole bien sûr mais aussi map (parcours), finish (lieu de la fête suivant une alleycat), vélo de dentiste (vélo très cher acheté par quelqu'un qui n'est pas très performant), des casquettes et jerseys (maillots) à l'effigie des différents groupes, des bars bike friendly...
Le fun avant tout
Les alleycats organisées par des non coursiers, dont les groupes se multiplient, sont davantage motivées par l'amusement que par la compétition. Il est même arrivé que certains y participent en Vélib' ou en tandem. L'aspect ludique tourne parfois à la désinvolture lorsque les checkpointers désertent leur poste ou le tiennent complêtement ivres. « Un bon checkpointer doit faire chier mais être équitable avec tous les participants », tranche Nicolas.
Avec le temps, les alleycats deviennent plus fantaisistes et délirantes : désormais on trouve des manifestes sous forme de rébus, selon les règles du Monopoly, sur un grand carton impossible à plier... ; des checkpoints dans des rues pavées, en haut d'escaliers, dans un cimetière pour Halloween, dans un appartement où se déroule une soirée... ; et des épreuves toujours plus farfelues : faire des pompes, un tour de vélo d'enfant ou une photo avec un touriste asiatique en bas de la Tour Eiffel, ramper dans un tunnel, faire tenir un œuf sur son casque, ramener une crotte de chien...
“Tout ça devenait trop sérieux”
Le Team Caviar, dont les alleycats se nomment « Bite Cul Cat », redouble d'ambition créative, d'esprit de déconnade et de provocation avec ses références sexuelles ou satanistes. Ces fantaisies n'intéressent pas forcément coursiers et sportifs plus classiques. « Pour connaître le meilleur il vaut mieux une alleycat très simple. Plus il y a de fioritures, moins la pratique du vélo est importante pour gagner et plus il y a de risques de triche », affirme J.Boule. Là aussi, certains ont de l'imagination : vol de manifeste avant la course, coups d'épaule aux autres participants pour les déstabiliser, fausses indications pour les perdre, « U » d'un concurrent jeté sur la route, fin de course en métro... « Tout ça devenait trop sérieux », affirme Julien de Team Caviar. « A nos alleycats c'est clair que ce n'est pas le meilleur qui gagne ! La durée et la nature des épreuves aux checkpoints est à la gueule du client »
Un jeu dangereux ?
Aux rides comme aux alleycats, les mineurs sont généralement refusés et on n'incite pas au non respect du code de la route. Mais il semble notoire que griller les feux, slalomer entre les voitures ou les forcer à s'arrêter fait partie intégrante du plaisir grisant. « En roulant, on anticipe la trajectoire des voitures, des autres cyclistes, des piétons, le tout sans respecter les feux et la priorité à droite », explique Thomas, 34 ans.
Quelques rares accidents sont venus gâcher la fête : vélos cassés, chutes, fractures, fort heureusement rarement plus graves. Pour Hou, chacun doit être responsable de lui-même et juger les règles qu'il doit adopter pour sa propre sécurité : « Moi je peux forcer le passage, couper une route ou un carrefour mais je n'encourage personne à le faire. Tout le monde ne peut pas être un ninja de la circulation ». Renaud du PCR abonde dans son sens : « Suivre quelqu'un de chevronné qui sait forcer le passage n'est pas forcément une bonne idée car il va prendre des risques qu'on ne devrait pas forcément prendre ». Pour J.Boule, l'ouverture aux non coursiers rend les alleycats plus dangereuses : « Ils vont avoir tendance à suivre des coursiers pour gagner et prendre ainsi plus de risques ». D'où l'idée de classements différents pour coursiers et non coursiers, par exemple au Boss2Paname organisé par Nicolas. Il s'agit d'un ensemble d'alleycats réputées dures, longues et pas trop fantaisistes, sur une année avec un classement global. Avec la somme des rides, événements divers et alleycats organisés, les amateurs de frissons ont de belles perspectives devant eux.